« Se renseigner sur la prohibition des drogues au Canada fait réfléchir avec un esprit critique sur les politiques passées, la réglementation légale, l’application de la loi, les réformateurs moraux et leurs programmes, ainsi que sur de nouveaux développements et de nouvelles solutions à adopter »
~ Susan Boyd, Busted
La prohibition de l’alcool
À partir des années 1500, les commerçants de fourrure, les missionnaires et les colonisateurs européens de la Grande-Bretagne et de la France ont introduit l’alcool dans les communautés indigènes lorsqu’ils ont colonisé les terres que nous appelons aujourd’hui le Canada. On échangeait l’alcool contre des produits précieux comme les fourrures aux postes de traite. Les conséquences néfastes que cela a eues sur les communautés indigènes ont été considérables. Alors que l’alcool a été pour les Européens la drogue préférée, des réformateurs moraux, qui considéraient l’alcool comme une influence corruptrice, dénonçaient de plus en plus sa consommation. Dans les années 1800 et au début des années 1900, le mouvement de tempérance au Canada prend son essor. De plus, les réformateurs moraux blancs cherchaient à convertir les communautés indigènes au christianisme et ils se sont donc concentrés sur cet objectif, en plus des efforts de prohibition de l’alcool.
« La conversion des peuples indigènes au christianisme, à la morale et aux valeurs occidentales, ainsi qu’à la sobriété, est devenue le but des réformateurs de la tempérance ».
Histoire ancienne
C’est avec les colons britanniques de l’Europe, qui sont arrivés au Canada pour coloniser les terres indigènes, qu’est née la mentalité moraliste actuelle et dominante à l’égard des drogues. Ce principe provient de la philosophie chrétienne protestante des années 1700, où la prohibition était un moyen de contrôle social sur les nations et les communautés racialisées. Ces communautés étaient considérées comme « autres » et inférieures par les suprémacistes blancs européens.
Au Canada, dans les années 1700 à 1800, les substances psychoactives étaient légales et elles étaient souvent consommées à des fins médicales. En Inde, en Chine et au Moyen-Orient, on consommait de l’opium pour soulager la douleur. Et les Européens en consommaient aussi. Les colons européens avaient apporté l’opium jusqu’en Amérique du Nord, où on le vendait comme médicament. C’était un produit légal et l’on pouvait le prendre oralement ou dans des tisanes et des élixirs. La coca (substance dont est dérivée la cocaïne) a été cultivée en Amérique du Sud pendant des milliers d’années et est arrivée en Europe et au Canada après la colonisation de l’Amérique du Sud. À la fin des années 1800, ce stimulant était présent dans des produits comme le vin et les pastilles contre la toux. De plus, le cannabis était consommé par des personnes souffrant de diverses affections telles que la dépression et l’insomnie.
« La prohibition des drogues est étroitement liée à la colonisation ».
Au cours des années 1800 et au début des années 1900, l’influence du protestantisme a provoqué un changement de mentalité. Cela signifiait que l’on mettait l’accent sur la pureté morale et la sobriété, ce qui créait un sentiment croissant de malaise parmi la communauté médicale et autour de la pratique d’une médecine non réglementée. Il existait un discours colonial qui voyait la consommation de certaines drogues comme une épidémie introduite dans l’Ouest par des personnes racialisées et par conséquent, en opposition à la moralité des blancs de la classe moyenne.
La Guerre de l’opium
La Grande-Bretagne et la Chine ont connu deux guerres de l’opium qui se sont terminées par une victoire britannique qui a sécurisé leur commerce du pavot à opium. La première guerre était en 1839 et la deuxième en 1856, dans laquelle la France a rejoint la Grande-Bretagne. Les Britanniques profitaient considérablement de cette activité commerciale au cours de laquelle ils exportaient de l’opium de l’Inde en Chine afin d’en tirer des bénéfices. Cela leur permettait d’acheter des produits de luxe comme la porcelaine et la soie, qui étaient en forte demande dans l’Ouest. La guerre a éclaté lorsque la Chine a tenté de mettre fin à ce commerce, ce qui a provoqué des hostilités. Les missionnaires chrétiens en Amérique du Nord ont ainsi pu diffuser leur discours sur les méfaits de la consommation d’opium. Et plus particulièrement, ils ont ciblé la consommation par les étrangers, considérés comme des combattants ennemis.
Le point de vue des missionnaires protestants sur la consommation d’opium dans les nations colonisées était une forme d’impérialisme culturel. Ils ne comprenaient pas que la consommation n’était pas problématique, surtout en Inde.
Les réformateurs moraux chrétiens se sont appuyés sur le sentiment anti-chinois pour définir la consommation d’opium comme une activité dangereuse associée aux « étrangers », en particulier les hommes chinois, et représentant ainsi une menace pour la société blanche, morale et chrétienne. Par ailleurs, on ignorait en grande partie le libre commerce de l’opium par la Grande-Bretagne. Cette conception et cette évolution de l’opinion publique furent à l’origine des lois et des politiques qui allaient se concrétiser dans les années suivantes et qui ont renforcé la prohibition et entraîné les dommages sanitaires et sociaux que l’on connaît aujourd’hui.
Les années 1880 à 1920 : Les débuts de la lutte contre la drogue
Au Canada, Vancouver est le berceau de la prohibition, motivée en grande partie par le racisme anti-chinois et la perception d’une menace à la pureté de la classe moyenne blanche. Dans les années 1880, les hommes chinois sont arrivés au Canada pour travailler sur le chemin de fer Canadien Pacifique et, une fois le chemin de fer terminé, un grand nombre d’entre eux sont venus vivre à Vancouver. Le racisme anti-indigène était déjà répandu dans la ville en ce temps-là et provenait du colonialisme et des dispositions de la Loi sur les Indiens, qui interdisait la vente d’alcool aux Indiens inscrits.
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Les Chinois étaient obligés de payer une taxe d’entrée et n’avaient pas le droit de posséder une propriété ou un commerce en dehors d’une zone connue aujourd’hui sous le nom de « Chinatown » dans l’est de Vancouver. Certains hommes chinois fumaient de l’opium pour soulager la douleur et se détendre. Les réformateurs moraux et les médias associaient la consommation d’opium à la corruption des chrétiens blancs par des hommes racialisés. La récession économique a exacerbé ce racisme : les ouvriers blancs, craignant le chômage, percevaient les travailleurs japonais et chinois comme une menace pour leurs emplois.
Les émeutes raciales de 1907 —L’étincelle qui a déclenché la prohibition des drogues
C’est le 7 septembre 1907 qu’environ 9 000 personnes, y compris des dirigeants syndicaux et des politiciens, se sont dirigées vers l’hôtel de ville de Vancouver pour protester et exprimer leur colère. Ils craignaient que leur sécurité d’emploi soit menacée par les travailleurs asiatiques. Un groupe d’hommes blancs s’est séparé du groupe et s’est dirigé au quartier chinois. Ils ont vandalisé et détruit des commerces privés appartenant à des personnes chinoises ou japonaises, tout en déclenchant une vague de violence et de désordre. « Les médias ont également contribué aux sentiments anti-asiatiques en exigeant que la Colombie-Britannique reste une province blanche. Ils montraient les Chinois comme des étrangers inférieurs, exigeaient la déportation et insistaient pour que l’immigration cesse ». (Boyd, 39)
« L’émeute raciale » de 1907 a attiré l’attention des médias du monde entier. C’est alors que le premier ministre Wilfred Laurier a envoyé à Vancouver son sous-ministre du Travail, Mackenzie King, pour mener une enquête. Les réformateurs anti-opium (qui avaient des liens étroits avec les missionnaires protestants) ont profité de la présence d’un haut responsable du gouvernement pour se rapprocher d’Ottawa. Ils ont ainsi exigé une rencontre avec M. King dans le but de le persuader et d’influencer la politique gouvernementale.
« La prohibition des drogues n’est rien d’autre qu’une expérience qui a coûté des milliards de dollars et qui a complètement échoué ».
La Ligue contre l’opium chinois considérait l’opium comme une maladie dangereuse pour la société. King leur a accordé un rendez-vous et, après leur rencontre, ils ont tenté d’interdire de fumer de l’opium au Canada en raison des dangers perçus. Par la suite, alors qu’il s’adressait aux médias, King a déclaré qu’« il devrait être interdit de produire cette drogue dans tous les coins du Dominion… cette émeute nous apportera quand même quelques bienfaits » (Boyd, 41). C’est ainsi que la criminalisation officielle de la consommation de substances a commencé au Canada.
« Les Chinois avec qui je conversais sur le sujet m’ont assuré que l’on vendait presque autant d’opium aux blancs qu’aux Chinois, et la consommation d’opium se répandait, non seulement chez les hommes et les garçons blancs, mais aussi chez les femmes et les jeunes filles. Ne pas se préoccuper de la croissance d’un tel mal au Canada serait contraire aux principes de moralité qui devraient guider les actions d’une nation chrétienne ». ~Mackenzie King, Le 1er juillet 1908
La Loi sur l’opium de 1908
Influencé par ses rencontres avec des réformateurs contre l’opium, King devint l’un des premiers évangélistes de la prohibition au sein du gouvernement fédéral. Il a présenté un rapport exigeant la suppression de l’opium. La Loi sur l’opium de 1908 a été adoptée sans preuve ni débats sur la Colline du Parlement. Le Canada s’est ainsi engagé sur la voie dangereuse de la prohibition qui causera plus de mal que de bien, notamment à cause du profilage par la police, des lourdes peines d’emprisonnement et d’un marché illégal des drogues non réglementé. Tous ces méfaits ont touché de façon disproportionnée les Canadiens de couleur et les indigènes, dont les conséquences perdurent encore aujourd’hui.
La Loi punissait ceux qui importaient, produisaient ou vendaient de l’opium à des fins non médicales, et les sanctions pénales et monétaires étaient exorbitantes de façon disproportionnée. La Loi sur l’opium était une loi qui ciblait les Canadiens d’origine chinoise et qui était fondée sur le racisme anti-chinois.
Le Parlement a adopté la Loi sur l’opium et autres drogues en 1911, ce qui a ajouté d’autres drogues à la liste des substances interdites, notamment la cocaïne et la morphine. De plus, la police a élargi ses pouvoirs d’application de la loi, et les forces de l’ordre ont commencé à cibler les hommes chinois. La fréquence des condamnations liées à la drogue a commencé à augmenter.
Les efforts en faveur de la prohibition se sont répandus dans tout le Canada. À Montréal, la Société d’aide à l’enfance, avec le soutien de politiciens, de chefs religieux, de policiers et du Cercle des femmes de Montréal, a lancé une campagne contre la cocaïne. Les médias ont adopté l’esprit prohibitionniste et ont publié des articles dramatiques diabolisant la consommation de substances et condamnant les personnes qui en consommaient. Mackenzie King s’est servi de ces reportages à la Chambre des communes pour renforcer la politique prohibitionniste en matière de drogues, ce qui aurait des conséquences dévastatrices pour le Canada dans les années à venir.
Après la Première Guerre mondiale
Après la Première Guerre mondiale, le climat de méfiance envers les étrangers est devenu encore plus prononcé en Amérique du Nord. Les Canadiens considéraient les étrangers, en particulier ceux d’origine chinoise, comme des ennemis. Ce contexte a accentué le désir de renforcer les lois sur la consommation de drogues afin de la pénaliser plus sévèrement.
La Loi sur l’Opium et les drogues narcotiques est adoptée en 1920. Un an plus tard, Mackenzie King, père de la prohibition, est devenu premier ministre. La réglementation canadienne en matière de drogues a commencé à être centralisée et renforcée par le Bureau des Drogues Dangereuses, un nouveau département gouvernemental. La Gendarmerie Royale du Canada (GRC) a été chargée d’appliquer les lois punitives sur les drogues, des lois fondées sur un système qui s’opposait aux programmes d’entretien des drogues et favorisait l’abstinence et l’emprisonnement.
« Au cours des années 1920, les lois canadiennes sur les drogues sont devenues plus sévères ».
Les années 1920 : Emily Murphy et la propagande contre la drogue
L’histoire de la prohibition des drogues au Canada se caractérise par des personnages clés qui ont influencé des politiques, des politiques qui continuent de nuire aux communautés, notamment aux communautés racialisées à ce jour. Emily Murphy était l’un de ces personnages. Magistrate et réformatrice morale passionnée, elle a publié une série d’articles dans le magazine Maclean’s, qui ont ensuite été rassemblés dans un livre, « The Black Candle » (1922). Elle y décrit la consommation de substances comme étant une force corruptrice et destructrice pour la société civilisée. Elle présente les « autres » racialisés comme des ennemis de la nation blanche. Murphy attribuait la criminalité et l’immoralité sexuelle des femmes à la consommation d’opium, affirmant même que « la présence de femmes blanches à proximité d’hommes racialisés entraînerait leur ruine inévitable et menacerait la nation chrétienne blanche ». (Boyd, 53) De plus, Murphy a joué un rôle dans la prohibition de la marijuana.
Des campagnes de sensibilisation contre la drogue ont été lancées par les clubs locaux Rotary et Kiwanis, les associations pour la protection de l’enfance, et par la police. D’autres campagnes dans les médias proposaient des solutions à la « menace chinoise », telles que l’abolition des quartiers chinois, la déportation des Canadiens d’origine chinoise et des lois plus sévères sur les drogues. Les grands médias ont renforcé le racisme envers les Chinois en décrivant des fumeries d’opium « répugnantes » et en présentant les hommes chinois comme une force corruptrice.
« Depuis longtemps, les drogues criminalisées sont associées à des groupes marginalisés et racialisés qui sont présentés comme des étrangers à la nation, qui menacent la morale des Canadiens ».
Les médias ont mené une campagne contre les drogues et les Chinois, ce qui a conduit à l’adoption de la Loi d’exclusion des Chinois (1923). Cette loi, parmi d’autres formes de discrimination, a permis à la police de cibler la communauté chinoise et la consommation de substances. En 1922, le gouvernement a durci la Loi sur l’Opium et les drogues narcotiques, et l’année suivante, la marijuana a été ajoutée à la liste des drogues interdites. La prohibition progressait à grands pas. Des peines d’emprisonnement sévères furent promulguées pour toute infraction à la loi sur les drogues. À la fin des années 1920, le Bureau des Drogues Dangereuses intensifia son contrôle des pharmacies et sa surveillance des personnes qui consomment des drogues. Ce phénomène a continué au cours de la décennie suivante. En 1938, on comptait 11 groupes différents de drogues criminalisées.
Les années 1940 et 1950 : Le toxicomane criminel et les substances psychédéliques
Dans les années 1940, un lien plus étroit est établi entre la toxicomanie et la criminalité, entraînant des inquiétudes quant au « toxicomane criminel ». Cette qualification justifiait une approche punitive de la justice pénale envers les consommateurs de drogues, plutôt que des interventions de santé publique fondées sur des preuves. À cette époque, 75 % des condamnations pour drogue étaient pour la possession de drogue et près des trois quarts d’entre elles conduisaient à une peine de prison. On a considéré les consommateurs de drogues comme étant dangereux et représentant un risque pour la société. Cette caractérisation est perpétuée aujourd’hui et renforce la stigmatisation structurelle de la société, contribuant ainsi aux décès par surdose.
Après la Deuxième Guerre mondiale, à la suite de la fermeture de nombreuses fumeries d’opium et de la déportation des Chinois, on a observé un changement dans la consommation de drogues au Canada : on est passé de la fumée d’opium à l’injection d’héroïne et de morphine. Le traitement de la toxicomanie, en particulier de l’héroïne, fut confié aux psychiatres, et les consommateurs de drogues étaient considérés non seulement comme des criminels, mais aussi comme des malades. L’application de la loi était toujours la réponse standard à la consommation de substances, et la police se montrait très discriminatoire, ciblant les « toxicomanes criminels ».
En 1948, l’Office national du film (ONF) a réalisé le documentaire « Drug Addict » sur la consommation de drogues, destiné à servir comme outil éducatif aux policiers et aux professionnels de la santé. Le film a perpétué le stéréotype courant selon lequel les drogues étaient apportées au Canada par « l’autre », étranger et racialisé, , tout en renforçant les croyances sur la criminalité des consommateurs de drogues et les présentant comme des individus à craindre. Le documentaire, réalisé avec la collaboration de la GRC, ainsi que le film La Drogue (1956), une autre réalisation de l’ONF, ont contribué à renforcer la croyance que la seule réponse appropriée à la consommation de drogues était l’application de la loi.
À cette époque, même si elle était rarement prescrite, l’héroïne était toujours autorisée sur ordonnance. Mais en 1955, le Canada a arrêté de fournir des permis pour son importation en réponse aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.
Earnest Winch et le Rapport du Dr Ranta : Une approche fondée sur la santé
Earnest Winch était membre de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique et l’un des premiers défenseurs du modèle de santé publique en matière de consommation de substances. En 1955, il a plaidé devant les autorités la nécessité de créer « des cliniques réglementées pour le traitement des toxicomanes chroniques confirmés, afin de leur administrer la quantité minimale qui leur permettra de conserver leurs modes de subsistance et de ne pas avoir à se tourner vers les sources d’approvisionnement illicites » (Boyd, 72). Winch a également souligné les préjugés de classe existants dans l’application des lois sur les drogues, en remarquant que ce sont les pauvres et les classes ouvrières qui ressentent principalement les impacts du système de justice pénale pour les infractions liées aux drogues. Les personnes riches étaient en mesure de payer d’autres personnes pour leur procurer des drogues et financer des traitements coûteux que la classe ouvrière ne pouvait se permettre.
En 1952, à Vancouver, le Dr Lawrence Ranta et quelques collaborateurs ont rédigé un rapport affirmant que la consommation de drogues et la toxicomanie sont plutôt un problème de santé qu’un problème de justice pénale. Dans son rapport, le Dr Ranta recommandait le financement public des programmes de traitement de la toxicomanie, et notamment la mise en place de dispensaires qui distribueraient de l’héroïne légale aux personnes dépendantes de cette drogue. En réponse aux conclusions du rapport et comme le gouvernement fédéral refusait de considérer la toxicomanie comme un problème de santé, la Narcotic Addiction Foundation of British Columbia (NAFBC) a été créée par la province en 1955. Ce fut alors la première organisation au Canada à offrir la méthadone comme moyen de traitement dans un programme de sevrage de 12 jours. Malgré le travail de la NAFBC, le gouvernement fédéral a continué à criminaliser la consommation de substances ainsi que les personnes qui en consommaient.
Le Diéthylamide de l’acide lysergique (LSD)
Le LSD a été légalisé au Canada dans les années 1950, et des chercheurs ont mené des études pionnières sur ses qualités thérapeutiques. Au cours de cette décennie, l’hôpital psychiatrique de Weyburn, en Saskatchewan, a été un centre de recherche novateur sur le LSD. La drogue a été utilisée pour traiter la schizophrénie et l’alcoolisme. En 1962, la Saskatchewan est devenue la première province à offrir des soins de santé publique. Le premier ministre de la Saskatchewan, Tommy Douglas, qui était un défenseur des soins de santé publique et mentale, a offert des bourses de recherche pour attirer les médecins qui faisaient des recherches novatrices. Cette période a contribué à améliorer notre compréhension du LSD.
« Les drogues, ce n’est pas un concept fixe : nos opinions à ce sujet sont influencées par l’époque dans laquelle nous vivons ».
Les années 1960 et 1970 : Le mouvement de contre-culture
Les années 60 ont été une période de changements politiques et sociaux au Canada, et non seulement une décennie de « sexe, drogues et rock and roll ». Les activités militantes ont pris de l’ampleur et se sont déroulées dans le contexte d’un mouvement de contre-culture, qui s’est développé pour contrer le gouvernement conservateur de John Diefenbaker. La contre-culture est plus ouverte aux opinions alternatives sur le sexe et la race et à la pensée critique. On a observé un accroissement de la consommation de drogues illicites, en particulier de cannabis. Ainsi, on a vu un désir pour un changement politique et social défiant les conventions.
Ce fut également une période où les lois sur les drogues étaient parmi les plus sévères à ce jour. En 1961, la Loi sur les stupéfiants est entrée en vigueur. Cette loi a autorisé la discrimination et les peines punitives contre les personnes qui consommaient des drogues. Cette même année, le Canada a signé la Convention unique sur les stupéfiants. Cet accord international a affaibli le contrôle national de la politique sur les drogues. La Convention unique a renforcé l’approche de la justice pénale en matière de consommation de drogues.
Le cannabis fait ressortir une politique raciste de deux poids, deux mesures
Durant cette décennie, la consommation de cannabis par des étudiants universitaires blancs a mis en évidence la manière dont le racisme avait influencé la politique sur les drogues à ce jour. Vers la fin des années 1960, les étudiants universitaires du Canada ont réclamé la légalisation du cannabis. Auparavant, la politique de lutte contre la drogue était dirigée contre les hommes racialisés (principalement les Chinois et les Noirs), puis contre les consommateurs d’héroïne blancs et pauvres de Montréal, Toronto et Vancouver. Mais à la fin des années 1960 et au début des années 1970, la police a commencé à cibler les jeunes blancs de la classe moyenne. En 1972, le nombre d’arrestations pour possession de cannabis a augmenté dramatiquement.
Inquiets de la sécurité de leurs enfants, les parents blancs de la classe moyenne ont critiqué la criminalisation du cannabis et le profilage des consommateurs par la police. Les médias grand public tels que Châtelaine, Life et Time Magazine se sont joints aux efforts de défense de ces jeunes étudiants et ont publié des articles critiquant les lourdes peines de prison qui leur ont été infligées. Cela contrastait avec la représentation que ces mêmes médias donnaient des hommes chinois comme « l’autre » étranger, source d’immoralité, et représentant une menace pour la société.
Le journal The Georgia Straight a commencé à être diffusé en 1976. Il se positionna comme porte-parole contre la prohibition du cannabis et la brutalité de la police envers les jeunes personnes. Le rédacteur en chef, Dan McLeod, a été arrêté et battu par la police, et la publication a été accusée plus souvent que toute autre au Canada en raison des lois sur l’obscénité du pays.
Le « Gastown Smoke-In & Street Jamboree »
À travers le Canada, les festivals de musique ont servi d’espaces de rencontre pour les jeunes engagés dans le mouvement de la contre-culture, contre lequel le maire de Vancouver, Tom Campbell, s’est fermement opposé. Le 7 août 1971, un grand événement public, le « Gastown Smoke-In & Street Jamboree », a été organisé pour dénoncer la brutalité policière envers les adolescents, les arrestations liées à la marijuana et une opération d’infiltration appelée « Operation Dustpan ».
« L’opération Dustpan avait un objectif simple d’augmenter la présence policière dans les quartiers problématiques et de mettre en place des unités d’infiltration pour arrêter les consommateurs de drogues. Cependant, l’opération Dustpan a été beaucoup plus nuisible et agressive que ce qui était décrit officiellement. À Gastown, les policiers ont entouré des rues entières, rassemblant les gens et les fouillant. Ceux qui ressemblaient à des hippies avec des cheveux longs et des barbes et qui s’habillaient différemment étaient souvent arrêtés lorsqu’ils marchaient dans la rue, puis détenus et fouillés. Selon les autorités policières, l’opération Dustpan a été un grand succès puisque, au cours des dix premiers jours, 59 arrestations ont été effectuées à Gastown ». (Musée de la police de Vancouver)
Pendant cet événement public, de grandes foules se sont rassemblées au coin des rues Carroll et Water et elles ont été très vite rejointes par des policiers de Vancouver avec des chiens, des chevaux et des matraques. « Les policiers ont chargé la foule pacifique, en brandissant leurs matraques, en arrêtant des gens et en créant le chaos ». (Boyd, 116) Après une investigation approfondie autour des événements qui se sont déroulés, on a conclu que la police de Vancouver était responsable et a provoqué une émeute.
La Commission Le Dain
En 1969, le gouvernement canadien a lancé une commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales. Les représentants de la commission ont consulté diverses communautés à travers le Canada sur la consommation de drogues, les traitements, les lois et les politiques. Dans ses conclusions, la commission a indiqué que les sanctions pénales contre les consommateurs de drogues devraient être réduites, que la possession de cannabis devrait être supprimée et que les personnes dépendantes des opioïdes devraient avoir accès à un traitement médical plutôt que de sanctions pénales. Ces recommandations de la Commission Le Dain n’ont jamais été appliquées.
Produits pharmaceutiques
La consommation de drogues pharmaceutiques est devenue plus courante dans les années 1960, mais elle est restée moins visible, car on accordait une attention disproportionnée aux drogues illégales. Alors que les médias grand public accordaient une attention particulière aux substances criminalisées comme l’héroïne, les programmes télévisés et les films montraient comment les drogues pharmaceutiques, comme le Valium, étaient consommées dans des buts non médicaux. Certains films tels que « Valley of the Dolls », un drame sur trois femmes blanches qui consomment des substances pharmaceutiques, ont illustré cette évolution des habitudes de consommation. « La culture populaire soutenait souvent que la ligne qui sépare les drogues légales des drogues illégales est à la fois abstraite et instable ». (Boyd, 123)
En 1971, l’Organisation des Nations Unies a étendu la Convention unique sur les stupéfiants afin de lutter contre le commerce illégal et la production de « drogues synthétiques ». La même année, le ministre canadien de la Santé, John Munro, a déclaré son intention de légaliser la marijuana au Canada. Le projet de loi S-19, qui aurait retiré le cannabis de la Loi sur les stupéfiants, a été déposé, mais n’a pas été adopté en raison de la contestation par la police. Par la suite, les communautés de personnes utilisant des substances ont continué à être criminalisées et opprimées. La Loi sur le traitement de l’héroïne (Heroin Treatment Act) a été adoptée en Colombie britannique en 1978 et a autorisé la détention forcée de personnes qui consommaient des drogues et qui avaient besoin d’un traitement.
Vers la fin des années 1970, le dynamisme des activistes de la décennie précédente faiblissait, ce qui était causé entre autres par une économie en déclin et un gouvernement qui tentait de réprimer les syndicats. Toutefois, les actions de mobilisation pour mettre fin à la guerre de la drogue ont continué jusqu’à la prochaine décennie.
Les années 1980 à 2000 : La résistance à la guerre contre la drogue
La prohibition et le traitement basé sur le principe de l’abstinence ont continué sous le néolibéralisme, et la criminalisation de la consommation de substances s’est intensifiée au Canada, tout comme aux États-Unis. En 1986, le président américain Ronald Reagan renforce la « guerre contre la drogue » déclarée par Richard Nixon. Il a ainsi augmenté les dépenses consacrées à l’application de la loi et approuvé des peines minimales obligatoires pour les infractions liées à la drogue. En 1987, le premier ministre canadien Brian Mulroney a présenté la première Stratégie nationale antidrogue quinquennale du Canada. Le Canada a ensuite signé la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes en 1988, qui a renforcé la lutte internationale contre les drogues illégales. En 1997, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a remplacé la Loi sur les stupéfiants au Canada tout en conservant des politiques prohibitionnistes.
Vers le milieu des années 1990, on a vu deux mouvements se développer pour contrer la criminalisation de la consommation de substances au Canada. Les consommateurs de drogues ont pris la tête d’un mouvement pour la réduction des méfaits et pour un traitement plus humain et axé sur les preuves, ainsi que d’un mouvement pour la légalisation du cannabis.
La réduction des méfaits
Le principe de la réduction des méfaits est apparu sur la scène internationale dans les années 1980, plus précisément au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Son objectif était de sauver des vies. Au Canada, les premiers programmes d’échange de seringues ont été mis en place à la fin des années 80 à Vancouver, Toronto et Montréal. Bien qu’ils contreviennent aux lois de l’époque, ces programmes ont sauvé des vies et prévenu les infections au VIH. Au début des années 90, il y a eu une augmentation des surdoses de drogues et des infections au VIH et à l’hépatite C dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Les militants ont exigé un changement des politiques et, en défiant la loi, ont ouvert leurs propres sites d’injection supervisée non officiels, comme le « Back Alley » sur la rue Powell. Ils ont ainsi sauvé des vies et répondu à un besoin urgent de santé publique.
En 1997, deux activistes, Bud Osborne et Ann Livingston, ont fondé la première association de consommateurs de drogues : le Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU). VANDU a joué un rôle déterminant dans la défense des droits, de la santé et de la sécurité des personnes qui consomment des drogues et des résidents du quartier Downtown Eastside. Ses membres ont mobilisé la communauté et organisé des manifestations pour attirer l’attention sur les crises de l’empoisonnement par la drogue et des infections au VIH qui faisaient rage à l’époque.
Grâce à leurs efforts, le Conseil de santé de Vancouver-Richmond a déclaré une urgence sanitaire en 1997. La demande pour des sites d’injection supervisée et pour un traitement avec prescription d’héroïne est devenue de plus en plus forte. En 2001, à la suite d’une consultation publique à l’échelle de la ville, le coordonnateur des politiques sur les drogues de la ville de Vancouver, Donald MacPherson, a rédigé un rapport fondamental intitulé « A Four Pillar Approach to Drug Problems in Vancouver ». Ce rapport proposait la réduction des méfaits, le traitement, l’application de la loi et la prévention comme priorités dans une stratégie globale de politique sur les drogues. L’approche des quatre piliers, suggérée dans les « Four Pillars » a été adoptée comme politique officielle par la ville de Vancouver et servirait à informer et à inspirer les stratégies de politique sur les drogues dans tout le Canada.
« Si l’on connaît l’histoire de la prohibition au Canada, on peut mieux comprendre les événements actuels et les perceptions concernant les drogues et les personnes qui les consomment ».
MacPherson a aussi recommandé d’ouvrir des sites d’injection supervisée et d’offrir un traitement avec prescription d’héroïne. En 2003, Insite a ouvert ses portes afin de fournir des services de santé vitaux à une communauté qui en avait besoin. Depuis 2002, le Dr Peter Centre opérait sans autorisation fédérale un site d’injection avec supervision par des infirmières. Ce site était intégré aux programmes de soins de santé existants.
En 2006, les conservateurs de Stephen Harper sont arrivés au pouvoir et, l’année suivante, ils ont mis en place la Stratégie canadienne antidrogue. Celle-ci rejetait fermement la réduction des méfaits et privilégiait l’application de la loi, en s’appuyant sur des stéréotypes et des mythes sur la consommation de substances pour faire avancer la lutte contre la drogue. Les progrès des personnes qui consomment des drogues et de leurs alliés étaient confrontés à une résistance intense de la part d’un gouvernement motivé par l’idéologie et qui ne s’intéressait guère à la réduction des méfaits. Les conservateurs de Harper ont essayé de fermer Insite, mais sans succès lorsque la Portland Hotel Society et ses clients Dean Wilson et Shelly Tomic ont contesté la constitutionnalité de cette initiative. En 2011, la Cour suprême du Canada a jugé que la fermeture de ce site d’injection supervisée, le premier en Amérique du Nord, était contraire à la Charte des droits et libertés pour les personnes qui dépendaient de ses services.
Bien qu’ils aient perdu devant les tribunaux, les conservateurs fédéraux ont continué à lutter contre la consommation de drogues et les personnes qui en consomment. Ainsi, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés a été adoptée et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a été modifiée dans le but de renforcer les mesures punitives.
Le traitement avec prescription d’héroïne et une autre crise des surdoses de drogues
En 1984, le gouvernement a levé l’interdiction des licences d’importation d’héroïne. En 2005, le traitement avec prescription d’héroïne (TPH) a été expérimenté à Vancouver et à Montréal. Ce traitement a prouvé qu’il était bénéfique pour les consommateurs d’opioïdes à long terme qui ne répondaient pas aux interventions sanitaires conventionnelles. Toutefois, on n’a pas mis en place de programmes permanents pour le TPH. À la fin de 2011, on a ouvert les portes du deuxième essai de traitement avec prescription d’héroïne à Vancouver. Comme l’étude arrivait à sa fin, on a compris que ceux qui en avaient bénéficié seraient brusquement privés d’un approvisionnement en substances qui leur permettraient de mener une vie plus saine. C’est pourquoi, en 2013, cinq plaignants (des participants à l’essai) ainsi que Providence Health Care de la Colombie-Britannique ont déposé une contestation fondée sur la Charte des droits et libertés contre le gouvernement fédéral. Cependant, les libéraux ont défait les conservateurs de Stephen Harper en 2005 et ont retiré la plainte. Depuis septembre 2017, la Crosstown Clinic de Vancouver offre le seul programme de traitement avec prescription d’héroïne en Amérique du Nord.
Cette histoire ne s’arrête pas là : une autre épidémie d’empoisonnement par drogue et de surdose a éclaté entre 2010 et 2020, sans précédent dans son étendue et sa sévérité. Le fentanyl et le carfentanil, produits illégaux et non réglementés, ont contaminé l’approvisionnement de drogues illicites et causé des milliers de décès au Canada. À ce jour, plus de 17 000 personnes au Canada sont mortes d’un empoisonnement par drogue ou d’une surdose. Pour la première fois en quatre décennies, l’espérance de vie n’augmente plus. Les provinces les plus touchées par cette crise sont la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario. Les dernières pages de « Busted : An Illustrated history of Drug Prohibition in Canada » explorent cette triste réalité. On y retrouve également des témoignages de l’activisme des militants de la réduction des méfaits et de certains politiciens, qui ont affronté l’apathie par l’action. Le livre raconte également la lutte pour la légalisation de la marijuana, finalement terminée en 2018 lorsque le cannabis est devenu un produit légalement accessible dans tout le Canada. Mais « Busted » souligne que la nouvelle Loi sur le cannabis continue de punir sévèrement certaines infractions à la Loi. La Loi n’exonère pas non plus les personnes qui ont un casier judiciaire pour des infractions non violentes liées au cannabis.
Aujourd’hui, de fortes initiatives et des actions militantes façonnent les prochaines lignes des politiques sur les drogues au Canada : un mouvement de personnes qui consomment des drogues ainsi que de mères qui ont perdu leurs fils et leurs filles est en train de changer la perception traditionnelle et néfaste de la consommation de substances, des programmes communautaires de réduction des méfaits apportent de l’espoir et permettent de sauver des vies là où la consommation de substances est liée à la pauvreté, et des médecins utilisent la technologie pour réduire les obstacles à l’accès à des substances réglementées et sûres pour les personnes qui en ont besoin.
Mettez-vous du bon côté de l’histoire. Soutenez les politiques sur les drogues qui sont fondées sur la compassion, les principes de santé publique et la justice pour tous. Nous avons besoin de votre point de vue et, ensemble, nous pourrons encourager les décideurs politiques à adopter les lois qui permettront de sauver des vies et, en ce qui concerne la politique sur les drogues, de corriger les erreurs de l’histoire.